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Renaud Kintz
23 avril 2018

Retour sur l’écriture “inclusive”

par | 23 Avr 18

Cet article à propos de l’écriture dite « inclusive » n’est ni vraiment pour, ni farouchement contre, mais tend juste à montrer que c’est peut-être là se tromper de débat, et que ce type d’écriture n’est malheureusement pas si inclusif qu’il n’y paraît.

Ce n’est qu’une opinion parmi tant d’autres, mais en tant qu’enseignant de Français Langue Etrangère, je pense être suffisamment légitime (et concerné) pour rajouter ma goutte d’eau dans un océan d’opinions généralement moins étayées les unes que les autres (même en 280 caractères).

Bien qu’il ne soit pas particulièrement long, il s’est écoulé un mois et demi entre le début et la fin de l’écriture de cet article, et ce afin de laisser mes idées trouver leur voie au fil de mes recherches et relectures, certaines ayant mûri, d’autres ayant été relativisées, d’autres s’étant perdues en chemin, et d’autres encore arriveront plus tard.

 

Concernant les changements souhaités

Il est notamment question de l’accord de proximité, c’est-à-dire de faire l’accord avec le nom le plus proche, par exemple : « les hommes et les femmes sont belles».
A l’oreille et à titre personnel, l’adjectif « belle » sonne mieux que « beau », mais pourquoi écrire « les hommes » en premier, alors que pour faire la part belle aux femmes j’aurais plutôt tendance à écrire « les femmes et les hommes », à leur céder la première place (et c’est bien cet ordre-là qui est utilisé à la fin du fameux manifeste). C’est par ailleurs bel et bien une règle de politesse et d’usage que l’on applique dans les formules de salutations à l’écrit telles que « Madame, Monsieur, ». Sauf qu’en écrivant « les femmes » en premier, je devrais donc écrire « les femmes et les hommes sont beaux », on accorderait l’adjectif au masculin pluriel avec « hommes », et on ne sait plus qui l’emporte sur qui, qui est le plus fort qui sont les plus fort·es, qui va gagner le combat, qui va s’imposer, bref, à la trappe la logique d’égalité.

Egalement possible, l’accord au choix, c’est-à-dire que chacun accorde l’adjectif avec le substantif qu’il souhaite, au choix donc. Je veux bien, mais dans ce cas-là il n’y a plus de règle, et rajouter des accords instables et ornementaux, c’est joli et c’est baroque, certes, mais je n’en saisis pas trop l’intérêt.

En ce qui concerne le fameux « point milieu » ou « point médian », j’avoue qu’à titre personnel l’emploi d’un nouveau « point » ne me plaît pas plus que ça par les temps qui courent, puisque le « point » est un élément de césure, de séparation dans la phrase, alors qu’au contraire ce serait chouette de plutôt chercher à rassembler les gens en ce moment.

La féminisation des noms de métier, en revanche je trouve ça génial, du moment qu’il s’agit de faire preuve de créativité et que cela va dans le sens de l’enrichissement lexical, qui plus est si on fait cela à l’italienne. Je suis donc pour la réhabilitation du mot « doctoresse » (à ne pas confondre avec docteure !) qui évitera notamment la confusion -qui n’apporterait rien- avec « médecine », même si ce mot existait également déjà dans le sens de femme médecin (au passage savez-vous comment s’appelle la femme du « doge » ? Non ? Eh bien ouvrez un dictionnaire ! Enfin demandez à Google).

Pour ce qui est des mots épicènes, c’est-à-dire ceux qui ont la même forme au masculin et au féminin, bien évidemment que changer l’article fait sens, même pour les ministres et les maires (pas de raison que seuls les hommes fassent preuve d’incompétence dans ces domaines), mais le plus juste serait peut-être tout simplement de demander à ces personnes comment elles souhaitent être appelées.

Cependant, ce n’est malheureusement pas le fait de remplacer à bon escient le (e)s par ·e·s ou ·es qui changera les mentalités…

 

Langage et pensée

Effectivement le langage est le cadre dans lequel peut s’exprimer la pensée, mais il ne va pas la formater pour autant ! Et bien heureusement ! Sinon on penserait tous plus ou moins pareil et on n’aurait pas la joie de se prendre la tête avec ce genre de débat.

Ce qui va changer les choses, c’est l’éducation. Soit on est éduqué dans un environnement où on apprend à respecter l’autre (quel qu’il soit), soit ce n’est pas le cas, et alors peu importe ce qui se passe à l’écrit (si tant est qu’il est suffisamment maîtrisé), les conséquences seront les mêmes.

Je n’en ai qu’un vague souvenir, mais je pense avoir fait partie des élèves à qui on a bêtement dû dire que le masculin l’emportait sur le féminin (je reviens un peu plus loin sur cette expression), et ça ne m’a cependant pas empêché de ne jamais me sentir supérieur aux femmes, ni à qui que ce soit en fait ; j’ai dû simplement appliquer cette règle dans le cadre de l’orthographe et pour avoir de bonnes notes aux dictées, sans toutefois extrapoler quoi que ce soit. Mais sûrement avais-je des instit’ suffisamment sensés pour rajouter que le masculin l’emportait sur le féminin à l’écrit !

Ma logique me pousse également à regarder ce qui se passe dans d’autres langues, afin de prendre un peu de recul par rapport à ce débat franco-fromageo-français.

En anglais, l’accord de genre n’existe pas, et pour éviter de préciser « his or her » (adjectif possessif) ou « him or her » (pronom complément), on passe directement au pronom pluriel « their » ou « them » (même quand on parle d’une seule personne, quand celle-ci n’est pas définie). Dans d’autres langues encore, comme l’allemand, il n’y a pas d’accord de genre pour l’adjectif attribut (er/sie ist nett), et pas de différence au pluriel, on dit « sie » pour « ils » ou « elles ». En persan, il n’y a pas de genre non plus. Et c’est encore certainement le cas dans bien d’autres langues et d’autres cultures dont je n’ai pas connaissance.
Cela rend-il les choses plus faciles dans la lutte pour l’égalité des droits et celle des violences faites aux femmes dans les pays où ces langues sont parlées ? Je n’en ai pas l’impression.

Ce n’est pas la forme du mot (qui est un signe linguistique plus ou moins arbitraire) qui fait sens, mais la conception mentale qu’on en a. Le genre neutre a actuellement la forme du masculin, soit, mais il existe.
Ainsi, quand on lit « les Français » on pense dans sa tête (du moins, je pense, mais je dois être bizarre) aux 66 millions de personnes arrogantes -le mot « personnes » est féminin, mais j’inclus les hommes, donc pas de jaloux- en grève un jour sur deux, ne mangeant que des baguettes accompagnées de fromage, d’un verre de rouge, de grenouilles et d’escargots, et ce, la clope au bec, la marinière de circonstance, et le béret correctement vissé sur la tête (si, si, ce sont toujours les clichés que les étrangers ont de nous, même en Allemagne). Il m’arrive de l’écrire « Français(e)s », voire de préciser « Français et Françaises » (ou inversement) en fonction des circonstances (que je ne saurais aucunement définir), mais la conception mentale que j’ai du mot reste la même (qu’il y ait ou pas ce « e » entre parenthèses, entre points milieux, ou un quelconque autre signe typographique), et quand on lit, même dans sa tête, c’est également plus fluide ainsi.

Cela rejoint d’ailleurs la tendance naturelle qu’a l’être humain d’aller vers une économie de langage (et de tout effort cérébral superflu en général, feignasses que nous sommes), c’est-à-dire que nous allons naturellement éviter de nous encombrer de ce qui n’est pas essentiel pour transmettre notre message, tendance qui par conséquent ne faciliterait pas la généralisation de l’usage de ce type d’écriture (et qui tendra très certainement à terme vers la disparition pure et simple de l’accord au passé composé… même si ça me fait très mal de me l’avouer, parce que ouais, j’aime bien me la raconter en soirée en disant que je maîtrise l’accord des verbes pronominaux).

Je tiens toutefois à noter que dans certains contextes tels que les offres d’emploi, la mention des deux formes s’avère bien entendu nécessaire, et ce afin d’éviter toute ambiguïté et une possible discrimination cachée.

 

Parce que non, l’écriture « inclusive » ne peut pas inclure tout le monde : l’intérêt du genre neutre

Le masculin et le féminin impliquent de fait le choix d’un genre. Qu’en est-il des personnes qui ne se reconnaissent ni vraiment dans l’un, ni vraiment dans l’autre (et je n’emploie ici volontairement pas le terme de « personne transgenre » car il y a peut-être des gens qui ne se reconnaissent pas non plus dans cette catégorie), ou encore de celles qui n’ont tout simplement pas envie d’être définies par leur appartenance à l’un des deux sexes ? Et quid des personnes intersexuées (hermaphrodites) qui biologiquement sont un peu des deux à la fois ?

Donc même si je comprends totalement la démarche féministe qui sous-tend le débat, elle n’est que « féministe » et pas égalitaire (en ne prenant entre autres pas en compte les personnes transgenres –reconnues par ailleurs depuis peu officiellement par l’Allemagne avec les personnes intersexuées), et donc malheureusement pas « pour tous ».

D’où, d’après moi, l’intérêt de se mettre d’accord sur un genre neutre (le masculin, le féminin, une majuscule à l’un des deux, un néologisme épicène, etc… soyons imaginatifs !) plutôt que d’aller vers une différenciation allant dans le sens de la complexification (aussi simple soit-elle) qui n’apporterait pas grand-chose sur le plan communicatif.

En revanche, oui, par pitié, si vous enseignez la langue française, que ce soit à l’étranger ou en France, ne dites pas que « le masculin l’emporte sur le féminin » (parce qu’il est plus fort, ben oui c’est lui qu’a les plus gros muscles, comme ça il peut protéger la femme… ou la frapper quand il a bu, mais ça c’est parce qu’il a manqué d’amour étant petit), non, parlez du genre neutre, qui certes actuellement, a la forme du masculin (et on peut ajouter que ça nous les brise menu –les testicules comme les ovaires), mais qui concerne tout le monde, les hommes, les femmes, et tous les autres qui ne se reconnaissent pas forcément dans ces deux catégories, ou qui n’ont simplement pas envie d’être définis par leur appartenance à tel ou tel sexe, et par là-même être réduits à ce sexe (passage à écouter au moins de 28’15 jusqu’au très beau « zut », et au mieux toute l’émission).

A titre personnel, je suis responsable des cours de français dans un centre de langues en Allemagne (à la fois enseignant et coordinateur pédagogique), et il s’avère que les profs de mon équipe ce semestre sont toutes des femmes (et que je suis un homme). Cependant, quand j’écris un mail (pardon, un courriel) à mon équipe, j’ai décidé d’utiliser (et ce après une longue réflexion) la formule « Bonjour à tous, » et non « Bonjour à toutes, ». Résumé de ma longue réflexion : je trouverais cela extrêmement bizarre, et dans ce cas justement macho, de mettre en évidence le fait que (moi homme) je ne m’adresse qu’à des femmes. Non, peu importe ! Peu importe que je ne m’adresse qu’à des femmes, qu’à des hommes, à une majorité de femmes, à une majorité d’hommes, à autant de femmes que d’hommes, avec peut-être parmi ces personnes, certaines qui n’ont pas forcément envie d’être ramenées à leur sexe, non ça m’est complètement égal, j’ai simplement décidé de n’exclure personne en faisant fi de la mention de toute catégorie.

Puisque le seul moyen d’inclure TOUT le monde, c’est justement de ne se référer à AUCUNE catégorie, car cela serait réducteur, et cette fois-ci réellement conservateur, que d’avoir en 2018 une vision binaire et uniquement genrée de l’humanité.

Autre fait interculturel intéressant : la forte labialisation du français (c’est-à-dire l’importance de la position des lèvres dans la prononciation de pas mal du sons) fait qu’elle est déjà perçue par certaines cultures comme une langue très féminine.

Sinon, pour ce qui est des histoires d’héritage (qu’on invoque dans un camp comme dans l’autre), de savoir si cette mise en avant du masculin dans la langue a effectivement été instaurée au XVIIe s. ou si c’est simplement truc bidule qui aurait établi par écrit une règle déjà existante, je dirais que ça me fait une belle jambe. Un, je ne pense pas qu’avant le XVIIe s. les droits des femmes en France aient été plus avancés (et je me méfie quand on me parle d’un quelconque âge d’or dans le passé), puis deux, certes la langue est chargée d’histoire (et y’a des moments où en tant que prof ça peut fortement m’intéresser), mais j’ai aussi le droit de prendre la langue telle qu’elle est maintenant, et de n’en avoir strictement rien à faire de son passé.

Bref, ce n’est donc sans doute pas un « péril mortel », mais ce n’est certainement pas non plus ni le fond, ni le centre, ni le cœur du problème, qui lui, contrairement à la graphie, peut tuer.
#éducationéducationéducation

Et pour avoir un avis plus éclairé et encore bien plus étayé sur le sujet, je vous conseille la vidéo de Linguisticae, cet article d’une enseignante de lettres, ainsi que l’émission de France Culture déjà citée plus haut.

Xoxo (comme ça c’est plus clair)

 

PS : Je n’ai volontairement pas cité George Sand, que j’affectionne pourtant particulièrement, et dont on ne peut nier les engagements féministes, mais ce pour éviter toute interprétation anachronique vide de sens, Racine en ayant déjà suffisamment pris pour son grade.

PPS : Je me suis surpris à écrire « Français.es » dans une phrase qui se trouvait déjà être entre parenthèses, j’ai survécu.

 

Et pour une activité sur le sujet, c’est par ici !

Renaud Kintz

Renaud Kintz

Dans le FLE depuis plusieurs années, j'enseigne actuellement en Allemagne à un public d'adultes. Mon approche est ancrée dans le ludique, j'aime beaucoup utiliser les chansons, et je m'intéresse aussi à l'appropriation de l'espace de la salle par les apprenants (parce que j'aime quand ça bouge !).

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